Les dirigeants d’entreprise sont-ils tous des psychopathes ?

Inutile de préciser que cette prééminence du paraître sur l’être et de la forme sur le fond est aujourd’hui décuplée par un écosystème digital surpuissant avec des réseaux sociaux et un traitement de l’information vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La moindre poignée de main ou émotion affichée lors d’une rencontre politique entre deux leaders ou au cours d’un bain de foule est aussitôt analysée, disséquée, décortiquée, théorisée, provoquant une avalanche de commentaires plus avisés les uns que les autres de la part d’experts en tout genre se succédant sans relâche sur les plateaux de télévision. Et chacun de se rappeler le film indigeste et franchement grotesque des viriles poignées de main à répétition entre Donald Trump et Emmanuel Macron à Bruxelles, New York ou Paris, ou, de façon bien plus touchante cette fois, les larmes dans les yeux d’un Barack Obama le 5 janvier 2016 au moment d’évoquer le sort de ces écoliers et lycéens américains assassinés en masse par des déséquilibrés à Columbine, Newton, etc.

Cette mise en scène permanente de l’émotion dans la sphère publique nous renvoie à une question fondamentale : est-elle réelle ou feinte ? Est-elle l’expression d’un sentiment sincère et véritable ou est-elle un élément d’une stratégie de marketing politique ? Ou, troisième option, que l’on oublie un peu trop facilement, est-elle la conjonction des deux, une expression à la fois authentique et instrumentalisée ? […]
L’empathie est, selon le dictionnaire Larousse, “la faculté intuitive à se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent”. Mais il faut en réalité distinguer deux formes d’empathie distinctes qui emploient deux circuits cérébraux différents et qui n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre.

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L’empathie cognitive se réfère à un système conscient permettant de comprendre les émotions d’autrui en prenant en compte ses particularités (caractère, contexte culturel, social, etc.). On parle de “compréhension empathique”. Notons que l’empathie cognitive, qui détecte mais ne subit pas les émotions de l’autre, peut parfois être utilisée à mauvais escient pour manipuler son interlocuteur grâce à la compréhension que nous en acquérons (les serial killers ont par exemple un niveau d’empathie cognitive élevé qui leur permet d’anticiper les réactions comportementales de leurs victimes). L’empathie affective se réfère à un système automatique et non conscient permettant de ressentir et de partager instinctivement les émotions d’autrui. On parle alors de “résonance émotionnelle”. L’empathie affective peut parfois empêcher toute action de secours lorsque la personne se trouve à son tour submergée par les émotions de l’autre (détresse/contagion émotionnelle paralysante pouvant aller jusqu’au burn-out émotionnel bien connu des professionnels de santé et d’aide/accompagnement à l’autre).

Il est ainsi essentiel de savoir utiliser ces deux formes d’empathie pour comprendre les intentions de l’autre et ressentir son état émotionnel. Le tout en sachant garder la distance nécessaire afin de pouvoir continuer à être dans l’action. C’est le concept d’ “empathie mature” cher au professeur de psychologie à l’université de New York et auteur à succès Martin L. Hoffman. Alors, quid de nos dirigeants ? Sont-ils, lors de cette phase de conquête du pouvoir, dans une empathie cognitive, affective ou mature ? Sont-ils toujours exclusivement, dans leur rapport à l’autre, dans une relation d’intérêt dans le but de conquérir une voix supplémentaire (et après tout c’est bien l’objet de leur présence, il n’y aurait rien de choquant à cela en soi) ou partagent-ils de vrais moments d’émotion avec les électeurs potentiels rencontrés ici et là sur leur chemin ? Difficile de répondre, et surtout, difficile d’établir une généralité tant les profils et personnalités de nos leaders sont différents.

Le Pouvoir rend-il fou ?, Erwan Devèze, Larousse Essais

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